Entretiens avec Damien Bresson

 

D.B. - Bonjour Guy Bouton. Aujourd'hui, 11 juin 2024, vous répondez à un lecteur qui vous fait observer que Claire et Roger Quilliot, les personnages principaux de votre livre, ne sont pas morts ensemble...

G.B. - Tout-à-fait. Ceux qui ont lu le livre le savent : ils avaient décidé de mourir ensemble; mais le destin en a décidé autrement. "Qui nous a trahis ?" s'est exclamée Claire à son réveil en réanimation. Car les médecins du CHU l'avaient en effet ramenée à la vie "comme on viole" écrivit-elle. Son mari, lui, épuisé par la maladie, était mort. Elle réitérerait le 11 août 2005, jour de sa fête, au lac de Saint-Avit.

D.B. - Pourquoi teniez-vous à reparler de Roger Quilliot aujourd'hui ?

G.B. - Parce qu'avant leur tentative de suicide ensemble, il avait laissé un message au journal La Montagne avec en particulier ces mots : "La peste est toujours menaçante ; le monstre du racisme et de l'intolérance rase toujours les murs sous les couleurs du FN et des éternels vichyssois. Rien n'est jamais acquis..." Et il concluait son "testament" par ces mots : "Bon courage".

Or son message résonne étrangement aujourd'hui, me semble-t-il, comme une alerte, après la montée de l'extrême droite en Europe aux dernières élections, particulièrement en France, en Allemagne et en Italie... Après la dissolution de l'Assemblée nationale,  les événements se bousculent chez nous. Juste après avoir fêté le débarquement des Alliés, et honoré les victimes du massacre par les nazis de la totalité de la population d'Oradour, ne nous préparons-nous pas, avec la guerre de nouveau à nos portes, à revoir d'autres sortes de célébrations, à l'image des défilés enthousiastes, sous l'occupation, qui criaient à l'unisson : "Vive Pétain !" Hitler n'est-il pas arrivé au pouvoir par les élections ?...

Par conséquent, le moment est sans doute arrivé pour nous d'avoir "du courage", et dès aujourd'hui de résister. Merci, Roger Quilliot, de nous avoir alertés par avance...

D.B. - A côté de l'actualité du message de Roger Quilliot en1998, n'est-il pas curieux de voir aussi l'écrivain J.B. Andréa évoquer la période fasciste en Italie dans son récent livre "Veiller sur elle" (prix Goncourt) ?

G.B. - Vous avez raison. Et ce qui me semble instructif dans son livre, c'est de voir que le régime fasciste n'a pas apporté du tout la "sécurité" aux gens honnêtes, cette "sécurité" tant espérée par nombre de nos concitoyens aujourd'hui... Bien au contraire !... Tout le monde était en danger...

 

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D.B. - Guy Bouton, le 2 juin était donc le premier annivrsaire de la sortie de votre livre Une histoire d'amour (1945-2005). Pourquoi ne vous êtes-vous pas exprimé à cette occasion ?

G.B. - Parce que le 6 juin est l'anniversaire du débarquement des Allliés venus libérer l'Europe du nazisme. Je pense que c'est un anniversaire beaucoup plus important ! D'autant qu'une fois de plus un envahisseur sévit en Europe et menace notre pays et notre liberté. Peut-être nous faudra-t-il à nouveau résister. Et je crains que cette fois-ci nous y soyons encore moins bien préparé.

D.B. - Cependant vous évoquez la Résistance dans votre livre.

G.B. - Oui. N'ayant pu y participer moi-même, je tenais à ce devoir de mémoire. Il en est de même pour la guerre d'Algérie que je décris à travers la présence sur le terrain et l'expérience de mon ami le prêtre-ouvrier Jean Lajonchère, mais également d'autres personnages. Le colonialisme français en Afrique du Nord et en Afique de l'Ouest, est évidemment un sujet à côté duquel je ne pouvais pas passer sans m'y arrêter. En ce qui concerne mai 1968, c'est bien entendu de mon expérience personnelle à Clermont-Ferrand que je parle.

D.B. - Aujourd'hui, vous semblez regretter quelque chose..

G.B. - Certainement! C'est que mon livre n'ait pas eu plus d'écho... Car il se voulait un hommage à Roger Quilliot, ministre de F. Mitterrand, et à son épouse Claire. Aujourd'hui, on parle beaucoup du droit de mourir dans la dignité. On en parle... Eux, non seulement ont défendu ce droit, mais ils l'ont appliqué en décidant même de mourir ensemble. Mon livre aurait pu participer à la popularisation de cette grande cause de la défense d'une fin de vie digne et choisie. Comme ce n'est pas le cas, vous pouvez adhérer à l'ADMD (admd.net), ou encore acheter mon livre (L'Harmattan Ed.). Il n'est pas trop tard...

D.B. - Merci Guy Bouton. A bientôt. Effectivement, votre livre mérite un bel envol, et le moment viendra.

 

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D.B. - Bonjour Guy Bouton. Je tenais à vous rencontrer aujourd'hui, parce que je sais que le 1er mai est pour vous, avant tout, l'anniversaire de la disparition de Pierre Bérégovoy que vous évoquez, évidemment, dans votre livre. Pourquoi ?

G.B. - Il était un symbole. Résistant, militant ouvrier syndical et politique, devenu Premier ministre, il incarnait le socialisme que prétendait promouvoir François Mitterrand. Or, en réalité, Mitterrand défendait avant tout ses intérêts, son ambition, l'image qu'il voulait laisser. Les socialistes, il les enfumait ; le peuple et ses serviteurs, il s'en servait... Et les oubliait bien souvent. Béré était l'un de ses serviteurs les plus fidèles. On peut dire qu'il est mort pour lui, parce que, pour le servir, il avait fini par renoncer à tous ses idéaux, ceux du temps du PSU par exemple.  Ce sentiment d'avoir trahi sa classe l'avait donc logiquement amené à choisir le jour de la fête des travailleurs pour partir.

D.B. - Justement, dans votre livre, Une Histoire d'amour (1945-2005), à côté des hypothèses fantaisistes de complot, d'assassinat, vous développez une explication originale et sans ambiguité de sa mort. Pouvez-vous nous la rappeler ?

G.B. - Bien sûr. Elle a le mérite, par rapport à toutes les autres, d'être argumentée. Pierre Bérégovoy avait confié son sentiment de désespoir à plusieurs personnes depuis plusieurs mois. D'abord à Didier Boulaud, son directeur de cabinet à Nevers. Puis, il était venu à Clermont-Ferrand inaugurer le musée d'art que venait de créer son ami Roger Quilliot. Ils ont parlé ensemble de la castrophe imminente aux législatives, ainsi que des scandales qui se succédaient dans la "Mittérandie". Or Roger Quilliot avait écrit un livre, préfacé d'ailleurs par le Président, sur le suicide de Roger Salengro, le ministre du Front populaire, qui avait été comme lui calomnié. Ils en ont parlé ensemble à Clermont. C'était deux mois avant tout juste. Or, en se suicidant, Salengro avait transformé ses accusateurs en accusés, en assassins, en coupables. Le livre s'appelle L'Homme sur le pavois. Ce dénouement lui avait plu. Il en avait parlé à plusieurs personnes. Il a donc voulu mourir en châtiant ceux qui avaient voulu le déshonnorer. Bien entendu, tout le reste est dans mon livre.

D.B. - Puisque vous êtes devenu, depuis, ligérien, l'actualité nous amène aussi malheureusement au désastre qui touche Casino, et sans nous éloigner pour autant de Pierre Bérégovoy...

G.B. - C'est vrai. Une faillite monumentale, des milliers d'emplois supprimés, à mettre sur le compte de l'ancien PDG, Naouri, le génie de la finance, qui avait été directeur de cabinet du ministre Bérégovoy de 1982 à 1986, et son conseiller spécial en déréglementation tous azimuts. Il avait inventé les cascades de holdings qui permettaient d'acheter tout ce que l'on voulait par de l'endettement, c'est-à-dire, si le vent tournait, avec du vent. Il était d'ailleurs déjà à l"époque de tous les bons coups, tous les scandales, et les délits d'initié, à commencer par les achats d'actions de la Générale au moment de la privatisation...

D.B. - Décidément, votre livre est une mine de secrets sur cette époque, sur les grands mais aussi sur les petits, le peuple, et les petits paysans surtout que vous avez bien connus en Auvergne et en Bourbonnais. Il faut absolument lire votre livre...

G.B. - Malheureusement chargé aussi de nostalgie, car tous les petits paysans ont disparu aujourd'hui...

 

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D.B. - Bonjour Guy Bouton. Hier, 7 avril 2024, on a beaucoup parlé du génocide du Rwanda il y a trente ans. Vous l'évoquez vous aussi dans votre livre : Une histoire d'amour (1945-2005).

G.B. - Oui, à travers l'amitié de toute une vie, rompue ce jour là entre deux hommes, le président François Mitterrand et son conseiller de l'ombre François de Grossouvre. Ce dernier était informé de tout en Afrique Noire et au Moyen Orient. Il avait averti Mitterrand de l'imminence de l'attentat  contre le président rwandais Habyarimana, qui allait déclancher le génocide déjà en préparation au vu et au su de tous. Mitterrand, pour la première fois, ne l'a pas cru. Pourtant, comme toujours, Grossouvre avait raison. L'aveuglement ahurissant du Président sur cette question s'avéra sans précédent.

D.B. - Cependant, l'interprétation que vous faites de cette déchirure d'une fidélité et d'une admiration hors normes est étonnante.

G.B. - Peut-être parce qu'en réalité, justement, il ne s'agit pas d'une interprétation. Pour Grossouvre, Mitterrand était toute sa vie. Pour Mitterrand, mis à part Anne, seul le pouvoir pouvait être toute sa vie. Grossouvre s'était senti trahi. Car si Mitterrand l'avait suivi, le génocide aurait sans doute été stoppé net. Il se sentait donc responsable.  Dès lors, en quelque sorte deshonnoré, pour lui, sans fierté, sans orgueil, la vie n'avait plus aucun sens.

D.B. - Cette déchirure était donc un drame pour Grossouvre. Elle devait elle aussi se dénouer dans le sang ?

G.B. - C'est cela. Et à l'Elysée ! Il se donne la mort dans son bureau avec son 357 Magnum presque sous les yeux du Président. Certes, celui-ci sera présent aux obsèques de son ami François à l'église de Moulins, et au petit cimetière de Lusigny, dans l'Allier. Mais il arrivait trop tard, comme au Rwanda. C'était ce que l'on appelle un loupé, le loupé d'une amitié, d'une vie, d'une sortie... 

D.B. - Nous découvrirons évidemment tout le reste dans votre livre. Merci.

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D.B. - Bonjour Guy Bouton. Hier, 4 mars 2024, le droit à l'avortement est entré dans la Constituion française. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

G.B. - Chacun s'en est félicité, tant mieux ! Y compris ceux qui étaient contre la loi Veil en 1975, ou leurs amis... Mais puisque je suis ligérien aujourd'hui, je voudrais rendre hommage à une femme qui s'est battue également pour cette cause dans les années 1970, c'est Huguette Bouchardeau.

Elle a d'abord participé à la formation du Centre lyonnais d'études féministes, et à celle du planning familial. Elle fut ensuite une des fondatrices du Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception, ainsi que Secrétaire de la fédération de la Loire du PSU qui défendait aussi cette cause. Enfin, elle avait contribué à populariser la méthode d'avortement par aspiration d'Harvey Karman, qui permettait désormais de le pratiquer en toute simplicité, sans souffrances inutiles et sans danger. Au diable les sales aiguilles à tricoter, et la menace perpétuelle de mourir seule ! Il suffisait d'une pompe à vide, d'un manomètre, de tuyaux souples et de canules, pour que l'affaire soit réglée à la perfection...

D.B. - A l'époque, on formait donc à la méthode Karman à Saint-Etienne, illégalement ? 

G.B. - Oui. D'ailleurs, souvenez vous : l'étudiant en médecine clermontois Chris, l'un des personnages du roman Une histoire d'amour (1945-2005), était venu au MLAC de Saint-Etienne prendre des cours, ceci, donc, grâce à Huguette Bouchardeau. Mais n'oublions pas qu'en même temps une autre personalité de la Loire, Lucien Neuwirth, se battait pour le droit à la contraception qui était interdite en France depuis la loi de 1920, alors qu'elle était légale à Londres depuis 1927. Après la guerre, il avait obtenu l'appui du général de Gaulle (qui avait donné le droit de vote aux femmes) pour présenter sa loi en 1967. Mais la majorité du parti gaulliste y fut violemment hostile. "Assassin d'enfants" était badigeonné sur le portail de sa maison. Il reçut même un paquet recommandé contenant un foetus avec ce messsage : "Salaud, voilà ce que tu as fait!". Et sa fille de treize ans fut exclue de l'établissement privé où elle était scolarisée. C'est grâce à M.C. Vaillant-Couturier, son ancienne camarade résistante, qui lui obtint, lui qui était de droite, le soutien de députés communistes, qu'il réussit à faire passer sa loi. Mais la majorité et les notables, allaient pourtant faire traîner la sortie des décrets d'application jusqu'en 1974 !... Montaigne avait donc raison, qui disait : "Un modéré, c'est quelqu'un qui est plus proche des modérés du camp d'en face que des extrémistes de son propre camp"...

D.B. - Vous évoquez à plusieurs reprises ces combats  dans votre livre ; mais c'est du passé ?...

G.B. - Non. En ce temps, l'avortement était illégal. Ainsi, effectivement, des idées consédérées comme provocatrices, immorales, extrémistes, dans ces années-là, sont jugées raisonnables, de progrès, et font consensus aujourd'hui. Tant mieux ! Mais, méfiance ! Et restons prêts, toujours, à les défendre, car le vent pourrait bien tourner très vite... Et puis, tout n'est pas réglé. Justement, Lucien Neuwirth, sénateur, avait été à l'origine des lois sur la prise en charge de la douleur en 1995, et sur les soins palliatifs en 1999. Mais le droit de mourir dans la dignité, même si tout le monde en parle, nous n'y sommes pas encore. Il faut encore des militants, et des voix, pour porter également ce combat pour plus d'humanité... Voir par exemple le site www.admd.net 

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- Guy Bouton, vous évoquez dans votre roman vos racines bourbonnaises. Auriez-vous, rien que pour nous, en exclusivité, une confidence ?

-  Oui. Je parle de ma naissance en décembre, prématuré, dans ce village sans eau courante, sans électricité, sans téléphone, où j'aurais pu mourir. Juste après, ma mère avait contracté la polio, et était restée infirme. Comme elle ne pouvait pas m'emmener à l'école, c'est elle qui m'a appris à lire, à écrire, à penser, bien avant beaucoup d'enfants de mon âge. En somme c'est grâce à elle si j'écris des livres aujourd'hui. Souvent, en écrivant, je pense à elle, qui rêvait, enfant, de devenir institutrice, et qui n'a jamais pu l'être. Par contre les enfants d'aujourd'hui ont la chance d'avoir des crèches et des classes maternelles où ils apprennent à se mesurer aux autres. En ce temps il n'y en avait pas, ou ma mère  ne pouvait m'y mener, ce qui m'a conduit à rester renfermé, timide. Les premières années marquent donc pour la vie. Mais ce spleen, parfois douloureux à vivre, cette solitude, je les ai pourtant aimés : pour un peu ils auraient fait de moi un poète... Il n'y a donc pas d'enfance parfaite. La seule chose qui compte à la fin, c'est ce que nous en faisons.

- Venons-en à votre livre. Je trouve qu'il y a beaucoup de suicides...

G.B. Oui. Notez qu'il y a aussi des guerres... Les suicides, quant à eux, sont très différents. Celui de Roger Quilliot, c'est le droit de mourir dans la dignité lorsque la maladie dégrade trop, le  refus d'une torture dénuée de la moindre signification, de souffrir, d'étouffer sans fin inutilement. Claire, son épouse, après avoir échoué à partir avec lui, a milité pour ce droit qui, je le rappelle, n'a toujours pas été conquis à ce jour en France. Moi-même j'adhère à l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité depuis 2019, et j'invite chaleureusement tous mes lecteurs et amis à le faire eux aussi pour hâter le vote d'une loi de liberté (voir le site de l'ADMD : www.admd.net).

Les suicides de Pierre Bérégovoy et François de Grossouvre, eux, sont l'image de la fidélité sans borne à François Mitterrand, jusqu'à comprendre qu'on a été ou que l'on s'est trompé, jusqu'à se trouver en opposition avec ce en quoi on croyait, et ne plus pouvoir le supporter. Concernant plus particulièrement celui de Pierre Bérégovoy, j'ai voulu montrer que la clé pour le comprendre se trouvait sans doute dans la conclusion du livre de Roger Quilliot, L'homme sur le pavois. Et je suis convaincu qu'ils ont évoqué ensemble cette fin victorieuse de Roger Salengro dans l'ouvrage lorsque que le Premier ministre est venu inaugurer le musée d'art de Clermont deux mois seulement avant sa fin, au milieu des divulgations de scandales et en pleine déroute électorale.

- Trop de regrets, trop d'échecs, n'est-ce pas l'alibi qui vous a poussé à parler de tant d'autres choses en plus ?

- Alibi, non. Mais vous avez raison. Il fallait s'extraire du psychodrame : tant de gens intelligents, avec de l'enthousiasme et des sentiments ! Et au bout du compte perdus ou perdants... Au milieu d'eux, seul Mitterrand était extraordinaire. Tous, ils ont fait ce qu'ils on pu pour suivre, jusqu'au bout, jusqu'au dernier souffle. Mais lui parvenait toujours à ce qu'il voulait, en utilisant ceux qu'il fallait, mais sans jamais avoir réellement besoin de personne. Sauf d'Anne, sans doute...  C'est pourquoi j'ai voulu aussi évoquer tout le reste, les événements, le drame de l'Algérie, l'évolution des idées de 1945 à 2005, par exemple concernant les femmes, et ce que j'ai personnellement ressenti, vécu et compris. J'ai éprouvé le besoin de donner la parole aux "petits", les paysans, les ouvriers, le peuple de France, et pas seulement aux "grands" qu'habituellement l'histoire se contente d'entendre. Il me fallait parler aussi de la vie des gens ordinaires, des miens, si l'on préfère...

- Alors revenons à vous. Nous en étions restés à votre enfance...

- Oui, à Varennes-sur-Allier (La Garenne dans le livre). Né en décembre, j'étais forcément toujours le plus petit et le plus faible de la classe. Donc, à la récré, on ne me faisait pas de cadeau. Et élevé dans la religion catholique, je ne rendais pas les coups. J'ai donc été animé très tôt par la haine de l'injustice. Par conséquent, lorsque je me suis trouvé happé par la vague de mai 68, j'ai aussitôt adhéré à l'idée que les faibles devaient s'unir pour se faire respecter, dans des syndicats ou des partis politiques.

- Mais de là à Mao, il y avait un grand pas...

- Plutôt un grand espoir. Après la catastrophe du nazisme, et le dévoiement de la révolution russe par le stalinisme, pour nous, jeunes intellectuels de 1968, c'était enfin un peuple qui marchait, uni, vers sa libération. Après avoir louvoyé entre les groupuscules, puis cru au PSU,  j'ai rencontré une organisation que venait de créer le philosophe Alain Badiou. Ses mots d'ordres "aimer le peuple", "unir le peuple", me paraissaient presque "catho". Notre première action avait été d'organiser les petits paysans d'un village d'Auvergne pour descendre leur lait tous les soirs dans un immeuble de Clermont où les familles ouvrières s'étaient organisées également pour se le distribuer à tour de rôle, à la barbe du maire du coin, propriétaire de la laiterie... C'était une révolution... un embryon. Comme chez Lip, ou à la SCPC, avec la CFDT autogestionnaire de l'époque, et des militants formidables comme le prêtre-ouvrier Jean Lajonchère, que j'ai eu la chance de côtoyer, et dont je raconte la vie également dans Une histoire d'amour (1945-2005).

- Malheureusement, tout cela aussi a mal tourné...

- Hélas ! Comme en Algérie, au Burkina Faso avec l'assassinat de Thomas Sankara qui avait rendu son pays autosuffisant en un an sans l'aide de personne, au Chili... Tant d'événement tellement décourageants, pour nous qui avions tant espéré. Et le Rwanda encore... Je n'ai pu m'empêcher de les évoquer au passage dans ce livre. Reste pour moi la nostalgie...

- Justement, venons-en à cette histoire d'amour, votre titre. Evidemment, c'est celle de Claire et Roger Quilliot ?

- Oui, bien sûr. Et elle est singulière, puisque leur attachement les amène à vouloir mourir ensemble. Vous le savez, à la même époque, des personnages connus se sont aimés passionnément. Ils ont publié leurs lettres. Pas eux. Claire, au contraire, a brûlé tous ses cahiers. Les lettres d'amour aussi.

- Il vous a donc été difficile d'évoquer leur histoire passionnée sans leurs mots...

- Oui et non. Il nous reste tout de même une lettre magnifique (voir page "Claire et Roger, portrait express") ; mais surtout leur vie qui en est le témoignage.

- Cependant, votre titre ne laisse-t-il pas espérer plus ?

- Si, vous avez raison. Il y a en effet d'autres histoires d'amour dans le livre. En particulier la mienne à l'égard de tant de chouettes personnages, de gens bien, d'amis de camarades. Mon histoire d'amour avec cette époque, et avec mon pays, l'Auvergne et le Bourbonnais.

 - Avec, encore une fois, un peu de nostalgie... Merci, Guy Bouton, et à bientôt.

 

 

 

 

 

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